Cession de parts de société : la solidarité du commerçant qui s’ignore !

21 Sep 2023

Par un arrêt du 30 août 2023 n° 22-10.466, la chambre commerciale de la Cour de cassation vient rappeler les tranchants effets de la solidarité commerciale pour le cédant d’une unique part sociale, qui s’ignorait commerçant à raison de l’opération de cession effectuée : il doit rembourser le prix correspondant à la cession de… 3 000 parts !

Contexte de l’affaire

  • Une société et cinq personnes physiques étaient propriétaires des 3 000 parts d’une société commerciale.
  • En janvier 2017, ils ont cédé l’intégralité de leurs parts à une autre société en échange de 380 000 €, avec un acompte de 300 000 €.
  • Une clause prévoyait une révision du prix en fonction des résultats financiers de la société cédée, qui se sont avérés négatifs, entraînant une demande de restitution de 299 999 € par l’acquéreur.

La solidarité en question

  • La Cour de cassation rappelle que la solidarité passive, c’est-à-dire la solidarité de tous les débiteurs tenus au paiement d’une somme d’argent, est présumée entre les cédants lors de transactions commerciales, sauf stipulation contraire.
  • Cette présomption peut entraîner des conséquences financières considérables, même pour le cédant d’une seule part sociale, dès lors qu’il a participé à la cession de la totalité des parts de la société au profit d’un même acquéreur.

Débat sur la présomption de solidarité

  • Certains cédants ont tenté de remettre en question l’existence même de cette présomption, arguant qu’elle ne repose sur aucune base légale.
  • Ils ont également soulevé la question de la présomption de solidarité quant aux personnes impliquées dans la cession.

La Cour de cassation tranche

  • La Cour de cassation confirme que les transactions de cession de contrôle d’une société commerciale sont considérées comme des transactions commerciales : le cédant d’une seule part sociale, qui participe à une opération plus globale de cession de la totalité du capital, est alors une sorte de commerçant qui s’ignore !
  • Corollaire : la solidarité entre les cédants s’applique alors automatiquement, à raison de la nature commerciale de l’opération, sauf si une clause explicite l’exclut.

La solidarité…

quant aux personnes :

  • La Cour a jugé que la solidarité entre les cédants ne dépend pas du pourcentage de parts cédées, mais uniquement du contrôle effectif transféré à l’acheteur : c’est ce critère de la cession de bloc de contrôle qui donne à l’opération son caractère commercial.
  • La Cour de cassation approuve la cour d’appel qui a jugé que « le transfert du contrôle s’appréciait au regard du seul cessionnaire ». Il est vrai que la jurisprudence de la Cour de cassation ayant affirmé le caractère commercial d’une cession de contrôle est ancienne : le premier arrêt remonte à 1978 (Cass. com., 28 nov. 1978, n° 77-12.609).
  • L’argument présentée par le cédant de l’absence d’intérêt personnel des cédants minoritaires n’a pas été retenu : le caractère commercial retenu est lié à la nature même de l’opération.

et quant aux obligations :

  • La Cour de cassation a écarté l’argument selon lequel la solidarité ne s’appliquerait que dans le cas de garanties de passif, mais pas à l’obligation de restitution du prix, précisant que la solidarité peut également s’appliquer à d’autres obligations contractuelles.
  • Elle a souligné que l’obligation de restitution de l’acompte était solidaire en l’absence d’une clause contraire : « la cour d’appel en [a] exactement déduit que l’obligation de restitution d’une partie de l’acompte versé par le cessionnaire, qui pèse sur l’ensemble des cédants en application de la clause de prix figurant dans cet acte, est une obligation solidaire ».

Conclusion

  • La règle de solidarité en matière commerciale reste en vigueur avec des implications significatives pour les cédants dans le cadre d’une cession de bloc de contrôle.
  • Cette règle peut entraîner des obligations financières lourdes, même pour ceux qui ne cèdent qu’une seule part sociale.
  • Il est crucial de prendre en compte cette règle et d’inclure des clauses spécifiques dans les contrats de cession pour en atténuer les conséquences potentielles.